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rude entrain que communiquent la nourriture abondante, la prospérité continue, le courage et la confiance en soi; la volupté manque en ce climat et dans cette race. Au milieu des belles croyances populaires apparaissent les lugubres rêves et le cauchemar atroce de la sorcellerie. L'évêque Jewell1 déclare devant la reine que, « dans ces dernières années, les sorcières et sorciers se sont merveilleusement multipliés. » Tels ministres affirment qu'ils ont eu à la fois dans leur paroisse dix-sept ou dix-huit sorcières, entendant par là celles qui pourraient opérer des miracles surnaturels. Elles jettent des sorts qui « pâlissent les joues, dessèchent la chair, barrent le langage, bouchent les sens, consument l'homme jusqu'à la mort. » Instruites par le diable, elles font, << avec les entrailles et les membres des enfants, des onguents pour chevaucher dans l'air. Quand un enfant n'est pas baptisé ou préservé par le signe de la croix, « elles vont le prendre la nuit dans son berceau ou aux côtés de sa mère..., le tuent..., puis, l'ayant enseveli, le dérobent du tombeau pour le faire bouillir en un chaudron jusqu'à ce que la chair soit devenue potable. C'est une règle infaillible que, chaque quinzaine, ou tout au moins chaque mois, chaque sorcière doit au moins

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1. Démonologie du roi Jacques, statuts du Parlement de 1597 à 1613: «< Un nommé Scot, dit le roi Jacques, n'a pas eu honte de nier dans un imprimé public qu'il y eût une chose telle que la sorcellerie, soutenant ainsi la vieille erreur des Saducéens, lesquels niaient qu'il eût des esprits. » Voyez le livre de Reginald Scot. 1584 (Nathan Drake).

tuer un enfant pour sa part. » Il y avait là de quoi faire claquer les dents d'épouvante. Joignez-y la saleté et le grotesque, les misérables polissonneries, les détails de marmite, toutes les vilenies qui ont pu hanter l'imagination triviale d'une vieille dégoûtante et hystérique, voilà les spectacles que Middleton et Shakspeare étalent, et qui sont conformes aux sentiments > du siècle et à l'humeur nationale. A travers les éclats de la verve et les splendeurs de la poésie perce la tristesse foncière. Les légendes douloureuses ont pullulé; tout cimetière a son revenant; partout où un homme a été tué revient un esprit. Beaucoup de gens n'osent sortir de leur village après le soleil couché. Le soir, à la veillée, on parle du carrosse qui apparaît mené par des chevaux sans tête avec un postillon et des cochers sans tête, ou des esprits malheureux qui, obligés d'habiter la plaine sous le souffle aigu de la bise, implorent l'abri d'une haie ou d'un vallon. Ils rêvent horriblement de la mort : « Mourir, aller nous « ne savons pas où! Être couché, cloué dans la fosse froide et pourrir! Cette chaude vie frémissante qui devient une motte de terre gluante et pétrie! – Et l'heureuse âme, qui tout à l'heure sera plongée ⚫ dans des flots de feu, - ou résidera dans des régions • frissonnantes barrées d'une triple enceinte de glace, ou sera emprisonnée dans les vents aveugles, et < roulée avec une violence incessante tout autour de « ce monde suspendu, - ou, pis que le pire de tout • cela, au delà de ce que les pensées sans loi ni

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ble. Les plus grands parlent avec une résignation morne de la grande obscurité infinie qui enveloppe notre pauvre petite vie vacillante, de cette vie qui n'est qu'une fièvre anxieuse, de cette triste condition. humaine qui n'est que passion, déraison et douleur, de cet être humain qui lui-même n'est peut-être qu'un vain fantôme, un rêve douloureux de malade. A leurs yeux, nous roulons sur une pente fatale où le hasard nous entre-choque, et le destin intérieur qui nous pousse ne nous brise qu'après nous avoir aveuglés. Au delà de tout « est la tombe muette, où « l'on n'entend plus rien, ni le pas joyeux de son ami, << ni la voix de son amant, ni le conseil affectueux de « son père, où il n'y a plus rien, où tout est oubli, poussière, obscurité éternelle. Encore s'il n'y avait rien! Mourir, dormir! oui, et rêver peutêtre. Rêver lugubrement, tomber dans un cauchemar pareil à celui de la vie, pareil à celui où nous

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1. Shakspeare, Measure for Measure, Tempest, Hamlet, Macbeth. Beaumont and Fletcher, Thierry and Theodoret, acte IV.

To die, and go we know not where;
To lie in cold obstruction and to rot;
This sensible warm motion to become
A kneaded clod; and the delighted spirit
To bathe in fiery floods, or to reside
In thrilling regions of thick-ribbed ice;
To be imprison'd in the viewless winds,
And blown with restless violence round about
The pendent world, or to be worse them worst
Of those, that lawless and incertain thoughts
Imagine howling! 'Tis too horrible!

(Shakspeare, Measure for Measure, III, 2.)

We are such stuff

As dreams are made of, and our little life
Is rounded with a sleep.

nous débattons aujourd'hui, où nous crions, haletants, d'un gosier rauque! Voilà leur idée de l'homme et de la vie, idée nationale qui remplit le théâtre de calamités et de désespoirs, qui étale les supplices et les massacres, qui prodigue la folie et le crime, qui met partout la mort comme issue; une brume menaçante et sombre couvre leur esprit comme leur ciel, et la joie comme le soleil ne perce chez eux que violemment et par intervalles. Ils sont autres que les races latines, et, dans la Renaissance commune, ils renaissent autrement que les races latines. Le libre et plein développement de la pure nature qui, en Grèce et en Italie, aboutit à la peinture de la beauté et de la force heureuse, aboutit ici à la peinture de l'énergie farouche, de l'agonie et de la mort.

IV

Ainsi naquit ce théâtre, théâtre unique dans l'histoire comme le moment admirable et passager d'où il est sorti, œuvre et portrait de ce jeune monde, aussi naturel, aussi effréné et aussi tragique que lui. Quand un drame original et national s'élève, les poëtes qui l'établissent portent en eux-mêmes les sentiments qu'il représente. Ils manifestent mieux que les autres hommes l'esprit public, parce que l'esprit public est plus fort chez eux que chez les autres hommes. Les passions environnantes éclatent dans leur cœur avec un cri plus âpre ou plus juste, et c'est

pour cela que leur voix devient la voix de tous. L'Espagne chevaleresque et catholique rencontre ses interprètes dans des enthousiastes et des don Quichotte, dans Calderon soldat, puis prêtre; dans Lope, volontaire à quinze ans, amoureux exalté, duelliste errant, soldat de l'Armada, à la fin prêtre et familier du Saint-Office, si fervent, qu'il jeûne jusqu'à s'épuiser, s'évanouit d'émotion en disant la messe, et ensanglante de ses flagellations les murs de sa chambre. La sereine et noble Grèce a pour chef de ses poëtes tragiques un des plus accomplis et des plus heureux de ses enfants1, Sophocle, le premier dans les choses du chant et de la palestre, qui, à quinze ans, chantait nu le pæan devant le trophée de Salamine, et qui, depuis, ambassadeur, général, toujours aimé des Dieux et passionné pour sa ville, offrit en spectacle dans sa vie comme dans ses œuvres l'harmonie incomparable qui a fait la beauté du monde antique, et que le monde moderne n'atteindra plus. La France éloquente et mondaine, dans le siècle qui a porté le plus loin l'art des bienséances et du discours, trouve pour écrire ses tragédies oratoires, et peindre ses passions de salon, le plus habile artisan de paroles, Racine, un courtisan, un homme du monde, le plus capable, par la délicatesse de son tact et par les ménagements de son style, de faire parler des hommes du monde et des courtisans. Pareillement ici les poëtes conviennent à l'œuvre.

1. Διεπονήθη δὲ ἐν παισὶ καὶ περὶ παλαίστραν καὶ μουσικὴν, ἐξ ὧν ἀμφοτέρων ἐστεφανώθη. Φιλαθηναιότατος καὶ θεοφιλής. (Scoliaste.)

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